Yannis Lantheaume Avocat
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Combien de Mamoudou GASSAMA en France?

Droit des étrangers

Mamoudou GASSAMA est un ressortissant malien en situation irrégulière en France qui, le 26 mai 2018, est passé en quelques secondes de l’anonymat à la célébrité, en sauvant un petit garçon âgé de quatre ans qui menaçait de chuter du quatrième étage d’un immeuble du XVIIIème arrondissement de Paris.

Sans se poser davantage de questions, et en prenant tous les risques, il a escaladé la façade de l’immeuble à mains nues en seulement une minute pour venir en aide à l’enfant.

Son acte de bravoure a été filmé par plusieurs badauds, qui eux n’ont pris aucun risque mais se sont probablement empressés d’essayer de monnayer leur « œuvre » aux chaines d’information en continu.

Mamoudou GASSAMA a immédiatement été qualifié de héros, et l’affaire aurait pu en rester là, l’intéressé retournant après quelques jours d’agitation médiatique dans un confortable anonymat.

Mais Mamoudou GASSAMA était, jusqu’à sa régularisation mardi 29 mai 2018, soit trois jours seulement après son geste héroïque, ce que l’on appelle un « sans-papier ».

De nombreuses personnalités ont alors, dans les jours qui ont suivi l’événement et avec une frénésie suspecte, plaidé pour la régularisation du « Spider-Man du XVIIIème », voire pour sa naturalisation, arguant qu’un tel homme « méritait » de pouvoir vivre en situation régulière en France.

Même Marine LE PEN a fait savoir que « Ce jeune homme a fait un acte héroïque et il mérite probablement [sic] la nationalité française ».

En quelques semaines, Mamoudou GASSAMA a ainsi été reçu à l’Elysée par le président de la République, s’est vu décerner les félicitations du président malien, a été invité sur BFM TV, chez Yann BARTHES dans l’émission Quotidien, sur C8 avec Cyril HANOUNA (lequel lui a décerné le « trophée de l’image de l’année »), a reçu un « humanitarian award » lors de la cérémonie des BET Awards à Los Angeles, de même que la médaille Grand Vermeil de la Ville de Paris – plus haute distinction de la capitale –, et a signé un contrat en service civique au sein de la Brigade des sapeurs-pompiers de Paris…

Il dispose même désormais de sa propre fiche Wikipédia (en anglais), signe ultime, au siècle d’internet, de la reconnaissance sociale et médiatique d’un être humain.

Notre société du spectacle a ainsi le pouvoir de faire ou défaire la vie d’un homme en quelques jours.

Sur le plan de sa situation administrative, les choses se sont tout aussi vite emballées puisque dès le surlendemain de son acte, Mamoudou GASSAMA a appris qu’il serait tout simplement… naturalisé français !

Rappelons que normalement, pour espérer être naturalisé – ce n’est pas un droit mais une faveur accordée par l’Etat –, il faut vivre en situation régulière sur le territoire français depuis au moins cinq ans, disposer de ressources stables et suffisantes, et passer un entretien avec un fonctionnaire de la préfecture relatif à sa connaissance des valeurs de la République, de l’histoire et de la culture française.

Mais la naturalisation de Mamoudou GASSAMA, qui devrait intervenir dans quelques semaines à peine, est ici fondée sur les dispositions de l’article 21-19 du code civil, aux termes duquel « Peut être naturalisé sans condition de stage : […] 6° L’étranger qui a rendu des services exceptionnels à la France ou celui dont la naturalisation présente pour la France un intérêt exceptionnel ».

Ce texte précise que « Dans ce cas, le décret de naturalisation ne peut être accordé qu’après avis du Conseil d’Etat sur rapport motivé du ministre compétent ».

La plus haute juridiction administrative osera-t-elle s’opposer à la naturalisation d’un héros si unanimement acclamé ? C’est peu probable, au regard de la perméabilité du Conseil d’État à l’opinion publique, et aux injonctions – même implicites – du pouvoir politique, qui tient à ce que son « premier de cordée » rejoigne la communauté nationale.

Pourtant, sur le plan strictement juridique, cette naturalisation ne va pas de soi.

Quels services exceptionnels Mamoudou GASSAMA a-t-il rendus à la France ? Dans quelle mesure sa naturalisation présente-t-elle pour le pays un intérêt exceptionnel ?

Il a pu être jugé qu’un refus de naturalisation accordé sur le fondement de l’article 21-19 du code civil à un ressortissant irakien ayant collaboré, au péril de sa vie, avec les services de contre-espionnage français dans son pays, n’était pas entaché d’une erreur d’appréciation.

Personne n’a bénéficié des dispositions de l’article 21-19 du code civil ni en 2016 ni en 2017.

La naturalisation d’un étranger motivée par le fait qu’il a rendu des « services exceptionnels » à la France est donc chose rarissime.

Mais en réalité, la naturalisation éclair de Mamoudou GASSAMA semble bien davantage guidée par des considérations d’opportunisme politique (faire oublier la loi « Immigration » alors en débat au Sénat, dont certaines des dispositions répressives sont contestées jusque dans les rangs de la majorité présidentielle) et par une tendance à sacraliser de manière assez infantile la figure du « héros ».

Cette affaire met aussi en lumière l’incroyable arbitraire que revêt le pouvoir dont dispose l’État de décider du jour au lendemain de régulariser la situation administrative d’un ressortissant étranger vivant jusque-là comme un fantôme administratif.

Le quotidien des « sans-papier » anonymes est pourtant aussi fait d’héroïsme.

Plongeurs de restaurants sous-payés, déménageurs employés à la tâche, travailleurs du secteur du bâtiment affectés aux tâches les plus pénibles, femmes de ménages aux horaires impossibles… Combien d’entre eux rendent ainsi, jour après jour, des « services exceptionnels » à l’économie française, en vendant leur force de travail dans des conditions qu’aucun français n’accepterait ? Ne sont-ils pas tout autant, sinon plus, « méritants » que Mamoudou GASSAMA, homme d’un acte certes exemplaire, mais isolé ?  

Bien souvent, ces « sans-papier » se heurtent au pouvoir presqu’entièrement discrétionnaire de l’administration, qui peut selon son gré les régulariser ou leur notifier un refus de titre de séjour, lequel s’accompagnera invariablement d’une obligation de quitter le territoire, et désormais, parfois, d’une interdiction de retour sur le territoire français.

Même lorsque le ministre de l’Intérieur décide d’encadrer un tant soit peu le pouvoir de régularisation des préfets (par exemple par sa circulaire NORINTK1229185C du 28 novembre 2012 relative à l’admission exceptionnelle au séjour des ressortissants étrangers en situation irrégulière), pour éviter les dérives et assurer un minimum de cohérence de la politique migratoire au plan national, le Conseil d’État juge que l’autorité préfectorale conserve une entière latitude d’action, les directives ministérielles ne constituant que des « orientations générales » dont ne peuvent se prévaloir les étrangers devant un tribunal.

L’arbitraire est ainsi total, un préfet peut décider de régulariser un étranger qui vit en France depuis un an, ne parle pas français et dont toute la famille vit dans le pays d’origine, mais peut refuser cette mesure à un francophone vivant et travaillant sur le territoire depuis dix ans, y ayant la majorité de sa famille, étant impliqué dans des associations, etc.

Parmi ces « sans-papier », qui triment depuis des années et ne voient pas le bout du tunnel administratif, nul doute que la naturalisation expresse de Mamoudou GASSAMA, jeune homme de 22 ans présent depuis seulement huit mois en France et n’y ayant qu’un frère, a dû avoir un goût quelque peu amer.  

La France regorge de Mamoudou GASSAMA, de héros du quotidien, mais ils ne seront jamais reçus à l’Élysée…

L’hôte des lieux s’est d’ailleurs empressé d’expliquer à Mamoudou GASSAMA lors de leur entretien : « On ne peut pas donner [des papiers] à tous ceux qui viennent du Mali, du Burkina. Quand ils sont en danger, on donne l’asile, mais pas pour des raisons économiques ».

Et ceux qui vivent en France depuis des années, y travaillent et y ont leur vie ? Qu’en fait-on Monsieur le Président ? Doivent-ils s’inscrire à des cours d’escalade pour accélérer leur régularisation ?

Le fait du prince plutôt que le Droit, est-ce vraiment un signe de bonne santé pour une démocratie ?

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