Yannis Lantheaume Avocat
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De l’importance de s’intéresser à son TAJ avant de demander la nationalité française

Droits et libertés

Dans deux précédents post de blog, nous avions expliqué à quel point il était désormais difficile – en tout cas très long… – de formuler une demande de nationalité française, qu’il s’agisse d’une déclaration de nationalité (par mariage avec un français par exemple) ou d’une demande de naturalisation (décision de l’autorité publique).
Précédents articles : Délai pour la naturalisation dans le Rhône et traitement des demandes de nationalités dans le Rhône.

Mais avant même de se lancer dans ce parcours semé d’embûches, il est particulièrement important de s’intéresser à d’éventuelles mentions qui apparaîtraient sur sa fiche TAJ (traitement des antécédents judiciaires).

Pour mémoire, figurent dans ce fichier toutes les personnes mises en cause et prévenues dans le cadre d’une enquête pénale (qu’il s’agisse de crimes, de délits ou de contraventions de 5ème classe), mais aussi toutes les victimes d’infractions pénales.

Autant dire que beaucoup de monde figure dans ce fichier… Pas moins de 18,9 millions selon la CNIL !

En outre, les données sont conservées pendant très longtemps : 20 ans de manière générale, et même 40 ans dans certains cas, pour les infractions les plus graves. Pour les mineurs mis en cause et prévenus, le délai de conservation des données est de 5 ans. Enfin, ces données sont conservées 15 ans pour les victimes.

Si vous supposez que vous êtes fiché au TAJ, et que vous entendez solliciter la nationalité française, sachez que l’administration pourra, dans le cadre de l’instruction de votre demande, consulter ce fichier.

En effet, selon l’article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité, « Il est procédé à la consultation prévue à l’article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure pour l’instruction des demandes d’acquisition de la nationalité française et de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers ainsi que pour la nomination et la promotion dans les ordres nationaux ».

Dans les faits, il faut savoir que les demandes de naturalisation sont systématiquement rejetées dès lors que figurent plusieurs mentions, voire une seule mention, au fichier TAJ.

C’est notamment le cas en préfecture du Rhône, et une telle décision est tout à fait légale.

En effet, il a été jugé qu’ « il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l’intérêt d’accorder la naturalisation à l’étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d’opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant » (CAA Nantes, 9 juillet 2021, n°20NT03101).

Autrement dit, l’administration peut, pour vous refuser la nationalité française, prendre en compte tout élément défavorable vous concernant. Et dans la plupart des cas, pour caractériser ces éléments défavorables, elle se fondera sur une mention au fichier TAJ.

Sachez toutefois qu’il existe une possibilité de faire rectifier les données vous concernant lorsqu’elles sont erronées, de les faire supprimer, ou simplement de faire apposer une mention empêchant que l’administration les consulte.

Ainsi, aux termes de l’article 230-8 du code de procédure pénale, « Le traitement des données à caractère personnel est opéré sous le contrôle du procureur de la République territorialement compétent, qui, d’office ou à la demande de la personne concernée, ordonne qu’elles soient effacées, complétées ou rectifiées, notamment en cas de requalification judiciaire, ou qu’elles fassent l’objet d’une mention […] ».

Ce texte précise également que le procureur de la République dispose d’un délai de deux mois « sur les suites qu’il convient de donner aux demandes qui lui sont adressées ».

Si le procureur ne répond pas à votre demande ou s’il la rejette, il est possible d’exercer un recours devant le président de la chambre de l’instruction.

Il n’existe aucun délai particulier pour saisir le procureur à la suite d’une décision de relaxe, d’acquittement, de condamnation avec dispense de peine ou dispense de mention au casier judiciaire, de non-lieu ou de classement sans suite.

Dans les autres cas (en cas de condamnation par exemple), il n’est possible de demander l’effacement des données figurant au fichier TAJ que dans la mesure où le bulletin numéro 2 du casier judiciaire est vierge.

Autrement dit, si une mention figure à ce bulletin numéro 2, quelle qu’elle soit, il faut préalablement en demander l’effacement avant de pouvoir demander l’effacement de sa fiche TAJ, à défaut de quoi votre demande sera irrecevable.

Autre point très important, l’article 230-8 du code de procédure pénale précise que : « En cas de décision de non-lieu ou de classement sans suite, les données à caractère personnel concernant les personnes mises en cause font l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données à caractère personnel. Lorsque les données à caractère personnel relatives à la personne concernée font l’objet d’une mention, elles ne peuvent faire l’objet d’une consultation dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1 et L. 234-1 à L. 234-3 du code de la sécurité intérieure et à l’article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d’orientation et de programmation relative à la sécurité ».

Ainsi, si vous avez été mis en cause dans une affaire pénale mais qu’il y a eu un classement sans suite, normalement le procureur de la République a fait apposer une mention qui empêche l’administration d’avoir accès à cette mise en cause lorsqu’elle consulte le TAJ.

Toutefois, la pratique démontre que très souvent l’administration se fonde, pour rejeter une demande de nationalité ou pour l’ajourner, sur une mise en cause dans le cadre d’une procédure pénale qui pourtant a abouti à un classement sans suite.

Cela signifie, concrètement, que le procureur a « oublié » de faire apposer la mention évoquée ci-dessus, et que cet oubli a permis au préfet de consulter les données vous concernant alors qu’il n’aurait pas dû pouvoir le faire.

***

Pour résumer, il est donc possible de demander au procureur de la République l’effacement, sous certaines conditions, des mentions figurant sur sa fiche TAJ.

Ce dernier peut refuser l’effacement, mais il peut néanmoins décider de faire apposer une mention qui empêchera l’administration de consulter la fiche.

Cette mention est légalement obligatoire si la procédure dans laquelle vous avez été mis en cause a fait l’objet d’un classement sans suite.

Ainsi, si cette mention figure, la préfecture qui consulte le fichier dans le cadre d’une demande d’acquisition de la nationalité française ne verra rien apparaître, et ne pourra donc opposer un ajournement ou un rejet de la demande pour des motifs tenant à ce que le demandeur serait défavorablement connu.

***

Aujourd’hui, l’acquisition de la nationalité française est un tel chemin de croix qu’il vaut mieux s’assurer à l’avance que tous les signaux sont au vert avant de formuler sa demande.

Et si l’on sait que l’on a eu un problème quelconque avec la justice ou la police dans le passé, c’est-à-dire y compris une plainte déposée contre soi qui a abouti à un classement sans suite ou une relaxe par le tribunal, il est vivement conseillé de faire procéder, avant toute demande de nationalité, à l’effacement ou la rectification de sa fiche TAJ.

Ce conseil vaut également pour tous ceux qui souhaitent demander une carte professionnelle au CNAPS afin de devenir agent de sécurité.

En effet, comme la préfecture, le CNAPS a la possibilité de consulter le fichier TAJ afin de s’assurer que « le comportement des personnes physiques ou morales intéressées n’est pas incompatible avec l’exercice des fonctions ou des missions envisagées » (art. L. 114-1 du code de la sécurité intérieure).

***

Yannis Lantheaume
Avocat au barreau de Lyon
www.lantheaume-avocat.fr

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