Yannis Lantheaume Avocat
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La machine à créer des sans-papiers

Droit des étrangers

Bien souvent, les juridictions administratives se plaignent du volume de dossiers dont elles sont saisies en contentieux des étrangers.

Ce contentieux « de masse » comme l’appellent les magistrats administratifs (pourquoi ne pas l’appeler « contentieux principal », ce qui serait moins péjoratif ?) est le mouton noir des contentieux.

L’on s’interroge pourtant rarement sur les raisons pour lesquelles autant de situations d’étrangers aboutissent devant les tribunaux administratifs.

Un raisonnement simpliste – et en décalage avec la réalité – consiste à dire que c’est parce que les étrangers attaquent toutes les décisions dont ils font l’objet, sans considération pour les chances de succès de leur recours, dans la seule perspective de multiplier les procédures dilatoires afin de se maintenir sur le territoire français, et aux frais de l’Etat puisqu’ils bénéficient bien sûr tous de l’aide juridictionnelle.

Loin d’une telle caricature, la réalité est tout autre, puisqu’au regard du nombre de décisions prises par l’administration en droit des étrangers, peu sont en réalité contestées.

En outre, cela va sans dire mais disons-le quand même, tous les étrangers ne bénéficient pas de l’aide juridictionnelle, loin de là, et doivent donc financer leur défense.

De même, exercer un recours ne permet pas nécessairement de « gagner du temps » en étant « dans une procédure ».

Ainsi, en matière d’éloignement, une procédure d’appel n’est pas suspensive. Un étranger qui fait l’objet d’une OQTF validée par le tribunal administratif, peut donc très bien être renvoyé dans son pays quand bien même il aurait saisi la cour administrative d’appel contre le jugement de première instance.

Surtout, la question n’est jamais posée de savoir quelle est la part de responsabilité de l’administration dans l’alimentation continue des tribunaux en recours ?

Voici quelques exemples non exhaustifs de la contribution des préfectures à l’effort de guerre du contentieux « de masse » :

  • Les refus (de titres de séjour, de regroupement familial…) illégaux qui seront annulés ensuite par les juridictions administratives ;
  • Les invraisemblables retards dans l’instruction des dossiers, qui ont pour effet de faire naître des décisions implicites, que les étrangers, de guerre lasse et après plusieurs mois ou années d’attente, se verront dans l’obligation de contester devant un tribunal, désespérés que l’administration finisse un jour par statuer sur leur demande ;
  • Les refus d’enregistrement de demandes de titres de séjour (« refus de guichet ») au motif qu’il manque une petite pièce parmi des dizaines fournies, très souvent d’ailleurs une pièce que la préfecture n’est même pas en droit d’exiger (le passeport par exemple).

Au-delà de ces exemples, d’une manière générale l’administration a également tendance à reporter sur le juge administratif sa propre responsabilité.

Alors que le préfet est doté d’un pouvoir discrétionnaire de régularisation d’un étranger sans-papier, il en use fort peu, de telle sorte qu’il édicte des refus quand bien même le dossier mériterait au contraire la délivrance d’un titre de séjour.

Il n’est ainsi pas rare que l’administration, par couardise ou simplement dans le but d’afficher artificiellement sa sévérité dans le traitement de l’immigration, prenne des décisions dont elle sait très bien qu’elles sont illégales, notamment au regard des conventions internationales signées par la France (art. 8 de la CEDH, 3-1 de la CIDE…).

Elle évite ainsi d’assumer sa responsabilité dans la régularisation d’un étranger, préférant le faire une fois que le tribunal l’y aura enjoint, après avoir annulé sa décision.

Ce faisant, l’administration génère un fort contentieux devant les juridictions administratives, et place les étrangers dans des situations économiques et sociales souvent extrêmement difficiles.

Tout ceci alors qu’elle sait pertinemment qu’elle n’expulsera pas les trois quart d’entre eux – et qu’elle ne tentera même pas de le faire – tout simplement parce qu’elle n’ignore pas qu’ils ont vocation à rester en France.

En somme, une vraie machine à créer des sans-papiers…

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