Yannis Lantheaume Avocat
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Le tribunal administratif de Lyon s’intéresse-t-il à l’exécution des décisions qu’il rend ? Partie 2 – Le droit

Droit des étrangers

Partie 2 – Le droit

Dans la première partie de ce poste de blog, nous avions expliqué l’attitude de la préfecture du Rhône, qui a décidé de ne plus respecter les jugements rendus par le tribunal administratif de Lyon en matière de contentieux des étrangers.


Nous en venons désormais au cadre juridique qui prévoit ce que peut faire un tribunal en cas de difficulté d’exécution d’un jugement qu’il a rendu.

De manière plus générale, nous évoquons l’appréciation par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), d’une part, de l’absence de respect par une administration d’une décision de justice, et, d’autre part, de l’éventuelle responsabilité de la justice administrative elle-même si celle-ci n’assure pas correctement l’exécution des décisions qu’elle rend.

En procédure administrative contentieuse, les jugements sont « exécutoires » (article L11 du code de justice administrative), ce qui signifie que tout un chacun, y compris l’administration, est censé respecter une décision rendue par un tribunal administratif, une cour administrative d’appel, le Conseil d’Etat ou une juridiction administrative spécialisée.


La préfecture du Rhône ayant décidé de se soustraire à ce principe pourtant cardinal dans une démocratie (voir les explications dans la partie 1 du post), il devient désormais nécessaire, pour le justiciable ayant obtenu une décision favorable du tribunal, d’introduire une requête en exécution de jugement, sur le fondement des articles L. 911-4 et R. 921-1-1 du code de justice administrative.

Ce faisant, il demande au tribunal d’assurer l’exécution par l’administration concernée du jugement rendu.


Dans un monde bien fait, le tribunal exercerait alors « toutes diligences » pour assurer l’exécution de la décision juridictionnelle, comme prévu à l’article R. 921-5 du code de justice administrative, et ferait connaître son courroux à l’autorité administrative, qui, en n’exécutant pas le jugement, porte atteinte à l’autorité d’une décision de justice.

En effet, si l’État décide de ne plus respecter les décisions de justice, ce sont les fondements mêmes de l’État de droit, notamment la séparation des pouvoirs, qui sont ébranlés.

Or, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) prévoit que : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Dans la conception moderne, une société qui n’assure pas la séparation des pouvoirs n’est tout simplement pas une démocratie.

Il ne faut donc pas prendre à la légère le fait qu’une administration ne respecte pas un jugement, il s’agit d’un événement grave contre lequel devrait se révolter un tribunal.


D’ailleurs, juridiquement l’inexécution d’une décision de justice est fautive, et elle est susceptible d’engager la responsabilité de l’État (pour le principe : CE sect., 31 janvier 1936, Société Lustria, n°33914, Lebon 148 ; pour une première application concrète : CE, 18 juillet 1947, Société Rey Frères, n°74613, Lebon 330).

En outre, le droit à l’exécution d’une décision de justice constitue une déclinaison du droit au procès équitable garanti par l’article 6 alinéa 1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, 19 mars 1997, Epoux Hornsby c/ Grèce, n°18357/91).

La conséquence de la méconnaissance de ce droit est la possibilité pour le justiciable qui en est victime d’obtenir réparation du préjudice subi (CEDH, 20 juillet 2000, Antonetto c/ Italie, n°15918/89).

La Cour relève d’ailleurs que la nécessaire exécution d’une décision de justice constitue un principe qui « revêt encore plus d’importance dans le contexte du contentieux administratif » (CEDH, 20 septembre 2022, Mehmet Taner c/ Turquie, n°51470/15, §38).

Enfin, l’Etat est responsable à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative (CE, ass., 29 déc. 1978, Darmont, n° 96004, Lebon ; CE, ass., 28 juin 2002, Magiera, n°239575, Lebon).

Ce qui signifie concrètement que sa responsabilité peut être engagée si la justice administrative n’assure pas l’exécution des décisions qu’elle rend.

La décision d’assemblée Magiera précise notamment que : « lorsque le litige entre dans leur champ d’application, ainsi que, dans tous les cas, des principes généraux qui gouvernent le fonctionnement des juridictions administratives, que les justiciables ont droit à ce que leurs requêtes soient jugées dans un délai raisonnable ».

Et que : « si la méconnaissance de cette obligation est sans incidence sur la validité de la décision juridictionnelle prise à l’issue de la procédure, les justiciables doivent néanmoins pouvoir en faire assurer le respect ; qu’ainsi lorsque la méconnaissance du droit à un délai raisonnable de jugement leur a causé un préjudice, ils peuvent obtenir la réparation du dommage ainsi causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice ».

Enfin, la même décision énonce que : « le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale – compte tenu, notamment, de l’exercice des voies de recours – et concrète, en prenant en compte sa complexité, les conditions de déroulement de la procédure et, en particulier, le comportement des parties tout au long de celle-ci, mais aussi, dans la mesure où la juridiction saisie a connaissance de tels éléments, l’intérêt qu’il peut y avoir, pour l’une ou l’autre, compte tenu de sa situation particulière, des circonstances propres au litige et, le cas échéant, de sa nature même, à ce qu’il soit tranché rapidement ».

Si la décision Magiera se prononce sur la question de la responsabilité de l’État à raison du fonctionnement défectueux de la justice administrative pour un délai anormalement long de jugement, la notion de « jugement » englobe implicitement mais nécessairement celle de l’exécution d’une décision déjà rendue.

D’ailleurs, cette décision précise que « le caractère raisonnable du délai de jugement d’une affaire doit s’apprécier de manière à la fois globale […] et concrète ».

Ainsi, le défaut de diligences d’une juridiction administrative pour assurer l’exécution d’un jugement qu’elle a rendu, a fortiori dans un contexte, comme celui que nous connaissons avec la préfecture du Rhône, où il est notoire que l’administration concernée n’exécute pas les jugements, est susceptible d’engager la responsabilité de l’État à raison du fonctionnement défectueux du service public de la justice administrative.

En bref, il appartient au tribunal administratif de Lyon de jouer pleinement son rôle, de s’assurer de l’exécution des décisions qu’il rend, de relancer rapidement la préfecture du Rhône si elle n’a pas respecté un jugement dans les délais, de lui fixer des astreintes, etc.

Et non pas de laisser la préfecture « trainer des pieds » pendant des mois et des mois pour respecter la décision de justice, sans crainte d’être sanctionnée pour pareille attitude.

Mais sans même, à ce stade, envisager d’engager la responsabilité de la justice administrative dans une telle situation, on pourra néanmoins faire le constat qu’il est fondamentalement inquiétant, dans un Etat de droit, qu’un tribunal se désintéresse à ce point de l’exécution des décisions qu’il rend, et donc de l’autorité de ses jugements.

Dans son fameux article « Le Huron au Palais-Royal », connu de tous les publicistes, le professeur Rivero critiquait, par une allégorie demeurée célèbre, les effets platoniques des décisions rendues par la justice administrative en matière d’excès de pouvoir.


Sommes-nous encore si loin de cette époque ? N’est-il pas temps que les juridictions administratives se dotent de vrais pouvoirs pour contraindre une administration à exécuter ses décisions ? Mais surtout : n’est-il pas temps qu’elles utilisent de manière beaucoup plus volontariste les pouvoirs dont elles disposent déjà, notamment celui de condamner l’administration au paiement d’une astreinte ?

Et ce afin de ne pas être tel « Winnie l’ourson » devant une administration récalcitrante à respecter ses décisions, administration qui profite de l’absence de sanction pour continuer à piétiner l’autorité des jugements, et par là-même l’Etat de droit…

***

Yannis Lantheaume
Avocat au barreau de Lyon
www.lantheaume-avocat.fr

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