Yannis Lantheaume Avocat
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Préfecture du Rhône – Délais en matière de demande de naturalisation

Droit des étrangers

Faut-il une vie pour devenir Français ?

C’est un peu la question que doivent se poser les ressortissants étrangers ayant formulé une demande de naturalisation en préfecture du Rhône.


En effet, le site Internet de la préfecture mentionne, à la page « délais » : « Le délai moyen d’instruction des demandes de naturalisation par décret imputable à la préfecture du Rhône est, en mars 2021, de 209 jours ».

Cette indication est trompeuse, car dans les faits, entre le moment où un étranger déposera en ligne (sur le nouveau site dédié) sa demande de naturalisation, et la réponse qu’il obtiendra, il s’écoulera bien souvent un délai de trois à cinq ans (vous avez bien lu…).

Précisons que la préfecture du Rhône n’est pas la seule concernée par des délais aussi scandaleux, puisque le phénomène est national. Elle fait néanmoins partie des préfectures dans lesquels les délais sont les plus longs.

Ces délais canoniques peuvent surprendre, et surtout décourager l’étranger qui manifeste la volonté de devenir Français.


Il n’y a rien de normal à cela, il s’agit au contraire d’un énième avatar des dysfonctionnements des préfectures, essentiellement dus au manque de moyens, le gouvernement considérant probablement qu’il ne s’agit pas là d’une priorité budgétaire.

Il est regrettable qu’au moment où l’on parle d’ « intégration » en permanence (sans que personne ne soit d’ailleurs capable de dire ce que revêt véritablement cette notion, particulièrement subjective), l’on ne soit pas en mesure de traiter correctement les étrangers dont l’intégration est la plus manifeste, puisqu’ils souhaitent faire partie de la communauté nationale.


Quoi qu’il en soit, peu de personnes savent que la loi encadre strictement les délais dans lesquels l’administration doit prendre une décision en matière de demande de naturalisation.


Ainsi, l’article 21-25-1 du code civil prévoit-il que « La réponse de l’autorité publique à une demande d’acquisition de la nationalité française par naturalisation doit intervenir au plus tard dix-huit mois à compter de la remise de toutes les pièces nécessaires à la constitution d’un dossier complet contre laquelle un récépissé est délivré immédiatement. Le délai visé au premier alinéa est réduit à douze mois lorsque l’étranger en instance de naturalisation justifie avoir en France sa résidence habituelle depuis une période d’au moins dix ans au jour de cette remise. Les délais précités peuvent être prolongés une fois, par décision motivée, pour une période de trois mois ».

Autrement dit, à partir du moment où un dossier complet de demande de naturalisation a été envoyé :

– La préfecture doit délivrer immédiatement un récépissé constatant le dépôt d’un dossier complet

– Elle dispose alors d’un délai de 18 mois pour prendre une décision

– Ce délai est réduit à 12 mois si l’étranger vit en France depuis plus de 10 ans

– La préfecture peut décider de prolonger une fois ces délais, pour une période de trois mois, mais elle doit alors motiver sa décision

On constatera d’emblée que ces dispositions ne sont pas respectées s’agissant des délais, mais aussi s’agissant de l’obligation de remise d’un récépissé constatant le dépôt d’un dossier complet (qui doit donc être remis « immédiatement », selon ce qui est prévu par la loi).


Se pose alors la question de savoir ce qu’il est possible de faire quand la préfecture du Rhône tarde à statuer sur une demande de naturalisation.


Dans ce cas, il faut considérer qu’au terme du délai, selon les cas, de 18 ou 12 mois, naît une décision implicite de rejet de la demande.


Or, l’article 27 du code civil dispose que : « Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande d’acquisition, de naturalisation ou de réintégration par décret ainsi qu’une autorisation de perdre la nationalité française doit être motivée ».

Ainsi, il devient possible de demander à l’administration de communiquer les motifs du rejet implicite de la demande de naturalisation, et ce en application de l’article L. 232-4 du code des relations entre le public et l’administration, selon lequel : « Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ».


L’autorité administrative dispose d’un délai d’un mois pour motiver sa décision de rejet implicite, ce qu’elle ne fera probablement pas.


Au terme de ce délai d’un mois, il est alors possible de saisir le tribunal administratif afin de contester le rejet implicite de la demande de naturalisation.

Ces délais sont stricts, l’administration ne peut pas s’y soustraire en prétextant que le dossier est toujours en cours d’instruction.

Mais un problème demeure : étant donné que le délai de 18 mois ou de 12 mois dont dispose une préfecture pour traiter la demande de naturalisation court à compter de la remise d’un dossier complet, comment peut-on savoir si son dossier était bien complet, puisque l’administration ne délivre jamais le récépissé de réception du dossier ?


Dans ce type de cas, il pourrait être envisageable de saisir rapidement le tribunal administratif en « référé mesures utiles » afin d’obtenir simplement la délivrance de ce récépissé, prévu à l’article 21-25-1 du code civil, qui permet d’avoir la preuve qu’on a bien déposé un dossier complet, et ainsi connaître l’exact point de départ du délai de 18 ou 12 mois.


Ainsi, un étranger n’est-il pas démuni pour obliger une préfecture à respecter le délai dans lequel la loi lui a demandé d’examiner une demande de naturalisation.


Et pour répondre à une question souvent posée : l’on ne craint rien à faire respecter ses droits (et la loi) en saisissant un tribunal dans ce type de cas.

Jamais une préfecture ne pourra rejeter votre demande de naturalisation au motif que vous avez saisi un tribunal car elle tardait à répondre à votre demande.

Nous vivons encore (mais pour combien de temps ?) dans un Etat de droit, et exercer un recours ne constitue donc aucunement, pour un citoyen, une faute. Cela ne pourra jamais vous être reproché.


Enfin, il faut savoir qu’il est également possible de demander des dommages et intérêts au tribunal, en engageant la responsabilité de l’État, qui commet une faute en ne respectant pas les délais de traitement des demandes de naturalisation.

Il faut en revanche justifier d’un préjudice qui soit indemnisable.

Cela peut être ce que l’on appelle classiquement en droit administratif les « troubles dans les conditions d’existence », dus au fait que l’on attend beaucoup plus longtemps que prévu pour obtenir une décision à sa demande de naturalisation.


Très peu de personnes osent contester au tribunal les refus implicite de naturalisation qui naissent au-delà des délais mentionnés ci-dessus, souvent car elles n’ont pas conscience de l’existence de ces délais, parfois parce qu’elles ont peur d’exercer un recours.


Mais c’est grâce à quelques ressortissants étrangers qui oseront entamer ces procédures que cela permettra d’obliger les préfectures à respecter la loi, et à traiter les demandes de naturalisation dans des délais normaux, si ce n’est légaux.

Se considérer comme un sujet de droit, obliger l’administration à respecter la loi, n’est-ce pas la meilleure preuve, dans un Etat de droit comme la France, d’une intégration réussie ?

***

Yannis Lantheaume

Avocat au barreau de Lyon

www.lantheaume-avocat.fr

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